Le disciple que Jésus aimait

En lisant St Jean : pourquoi se nomme-t-il toujours « le disciple que Jésus aimait » ? Cela fait un peu prétentieux, Jésus les a choisis et les aimait tous ! J’ai lu quelque part que c’était pour que l’on s’identifie à ce disciple que Jésus aimait, pour songer qu’Il nous aime aussi… Ce n’est pas vraiment satisfaisant dans la mesure où seul St Jean se nomme ainsi, ce ne sont pas les autres qui utilisent cette appellation, comme pour souligner que c’était le préféré. Merci de m’éclairer ! PS : j’apprécie toujours votre revue et j’aime bien lire les réponses aux questions !

En effet, c’est souvent la première explication donnée à cette appellation « disciple bien-aimé » : sans jamais se nommer lui-même, l’évangéliste Jean, permettrait ainsi à chaque lecteur de s’identifier au disciple en tant que bien-aimé de Jésus. Quand il se nomme lui-même « le disciple que Jésus aimait », Jean ne veut pas dire qu’il est meilleur que les autres. Mais, très profondément, il a fait l’expérience de l’amour de Jésus pour lui. Il se sait « bien-aimé ». Pour autant, trop souvent, nous l’entendons un peu comme si Jean se pensait « supérieur » dans l’amour de Jésus. Cela ne nous renvoie-t-il pas aussi au célèbre passage où, précisément la mère de Jean et de Jacques, Marie Salomé, réclame à Jésus : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. » (Mt 20,20). Et la réaction des autres disciples ne se fait pas attendre : « Les dix autres, qui avaient entendu, s’indignèrent contre les deux frères. » 

Jalousie ! Voilà, le mot est lancé ! Même parmi les apôtres… et combien plus souvent entre nous frères baptisés. Jalousies entre prêtres de voir l’un d’entre nous qui semble avoir plus de succès. Jalousie entre fidèles d’une même paroisse pour savoir qui aura le plus d’influence. Jalousie entre femmes et hommes. Jalousie entre clercs et laïcs. Jalousie entre diocèses, entre paroisses, entre mouvements chrétiens… La jalousie est pourtant un des poison les plus mortels pour l’âme chrétienne ; pour toute âme en fait, si l’on en croit les travaux de René Girard, car elle serait à l’origine de toute violence. 

Ce n’est pas un hasard si le premier meurtre de l’histoire humaine, narré par la Bible, a pour source la jalousie : Caïn est jaloux d’Abel, car les offrandes de ce dernier ont été agréées par le Seigneur et non les siennes ! (Gn 4). La jalousie naît du désir de posséder l’autre, d’être l’autre à la place de l’autre. C’est ce que René Girard nomme le « désir mimétique ». Or je ne peux pas posséder l’autre et encore moins être l’autre. Sauf à un travail sur moi-même, – auquel le Seigneur invite d’ailleurs Caïn : «  Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas ton visage ? Mais si tu n’agis pas bien…, le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer. » (Gn. 4,7) –, l’unique solution est donc de tuer l’autre à défaut. Ainsi en est-il de Jésus jalousé par les hauts dignitaires du peuple Juif, qui ne trouveront d’issue à leur jalousie que dans la mort du juste.

Ainsi en est-il du frère aîné du fils prodigue (Lc. 15) qui se fait tancer par son père, pour accepter l’amour inconditionnel que ce dernier porte au fils pécheur. « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » Voilà qui nous ramène au « bien-aimé ». Alors, il me plaît de croire que l’explication la plus simple est de nous permettre à chacun de se dire « je suis un bien aimé». Aucune jalousie ne devrait s’instaurer entre nous : l’amour de Dieu pour chacun de nous est absolu, quoique divers en chacune de nos vies.