Armées vs Politiques : la rupture ?

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Une semaine après la parution de la fameuse « lettre ouverte » signée par des généraux et des militaires, pour la plupart retraités, la violence des réactions des politiques et des journalistes, ainsi que la passion qui a alimenté les polémiques qui ont suivi interrogent.

« L’islam fondamentaliste atteint en France un seuil critique d’influence qui fait désormais peser un véritable danger sur la vie démocratique de la nation. » Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette phrase n’est pas tirée de la, désormais trop célèbre, « lettre ouverte » de généraux et d’officiers des armées, qui alimente toute sorte de polémiques depuis une semaine. Non, elle ouvre le Rapport 2018 de la très sérieuse DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure) : État des lieux de la pénétration de l’islam fondamentaliste en France[1]. Poursuivons de quelques lignes notre lecture : « Les réseaux islamistes ont investi un ensemble de champs et d’institutions leur permettant de fabriquer des individus dont la vision du monde est étrangère au lègue de l’héritage politico-culturel français. La menace que représente cet islam politique est protéiforme et multifactorielle : prolifération terroriste, rupture du contrat social français, rejet profond des valeurs républicaines, aggravation des tensions intercommunautaires, confessionnalisation de la citoyenneté, repli communautaire… »

Curieusement, et à l’inverse des écrits de nos généraux « factieux » selon les uns, « indignes » ou « imbéciles » selon les autres, ce cri d’alarme de la DGSI n’a suscité aucune polémique, aucun débat politique à son époque, bien malheureusement d’ailleurs. Or ceux-ci – moins bien, il est vrai – ne font que tirer des sonnettes d’alarme ! Les mises en garde sévères de la DGSI et les analyses de son document méritent d’être relues et étudiées avec soin car, « La puissance des réseaux islamistes et leur prolifération sont la résultante d’une incapacité́ chronique à analyser leurs stratégies et leurs moyens d’action de manière globale dans des champs aussi névralgiques que l’éducation, le monde de l’entreprise, le contrôle des lieux de culte, internet et les réseaux sociaux, les œuvres caritatives. » 

Pour ne pas faire injure à la sagacité et l’intelligence des politiques – y compris du gouvernement – qui sont partis en guerre contre les militaires retraités signataires de cette « lettre ouverte », j’en déduis donc que ce ne peut être sur le fond qu’ils tirent à boulets rouges. La lettre ne dit pas autre chose, quant au constat, que les réflexions de la DGSI. Certes, elle est sans doute maladroite dans ses expressions, ici ou là, prêtant le flan à des critiques, bien normales dans une démocratie où les citoyens sont admis à pouvoir débattre de tous les sujets. C’est sans doute là que le bât blesse. Les politiques, les journalistes, qui se sont violemment emparés de ce sujet considèrent-ils en fait les militaires comme des citoyens à part entière ? Il est vrai que les militaires n’ont obtenu, dans la grande démocratie française, le droit de vote qu’après les femmes… On oublie souvent de le rappeler… Il est vrai que la triste expérience du Putsch d’Alger a laissé durablement des traces dans les rapports entre la France et son armée, et plus largement, les deux guerres coloniales politiquement perdues aussi. La première guerre mondiale a ancré aussi une profonde amertume antimilitariste dans la population française. Mais pourtant…

Pourtant les armées caracolent largement en tête des institutions étatiques les mieux perçues par les Français : 84% d’entre eux font confiance aux militaires, et, fait incroyable depuis la guerre d’Algérie, depuis une dizaine d’année, une majorité de citoyens souhaite la sanctuarisation, voir l’augmentation, du budget consacré à la Défense. Les armées méritent largement ce succès. D’abord par leur engagement constant au service de la France, et souvent aux limites de leurs capacités réelles, au plus près des Français en particulier avec l’opération Sentinelle. Ensuite,  parce qu’elles ont payé du prix le plus fort, le service de leurs concitoyens, par le nombre de ceux d’entre eux morts au combat (Afghanistan et Mali entre autres) ou blessés durablement dans leur chair ou leur âme. Enfin, les armées restent, malgré la délitement social de la France, ce creuset inégalable, où est insufflé le service de la Patrie, capable de transformer un jeune défavorisé de banlieue, en quelques mois. 

Alors, que faut-il comprendre des outrances politiques et médiatiques, jusqu’au sein même de la très haute hiérarchie militaire, contre ces militaires, essentiellement retraités, qui ont osé « l’ouvrir » ? Vraisemblablement trois faits. D’abord, la détestation viscérale des armées comme symbole même de la Nation. Une détestation qui participe de la haine de soi, si typique de ces élites républicaines. Ensuite, une incompréhension volontaire du devoir de réserve du militaire, favorisant la servilité et l’incompétence (relire plus que jamais Marc Bloch, L’étrange défaite). Enfin, les marques d’un pouvoir aux abois, ne supportant plus les critiques d’où qu’elles viennent et surtout, si elles reflètent les sentiments de la majorité silencieuse et souffrante des Français. La tribune de ces militaires peut ne pas enthousiasmer (c’est mon cas), peut susciter des débats certes ; mais l’outrance des réactions qu’elle a suscitées chez la « bien-pensance » établie ne peut qu’interroger et inquiéter face aux défis qui se posent à la France…


[1] http://www.profession-gendarme.com/rapport-2018-de-la-dgsi/